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Notre-Dame du Raincy: «C’est émouvant de comprendre la conception d’Auguste Perret»

Pour Wandrille Thieulin, l’émotion reste intacte. L’architecte (cabinet Lacoste & Thieulin) supervise le chantier de restauration de l’église Notre-Dame du Raincy (93), bâtie par les frères Perret en 1923. L’édifice, surnommé «Sainte-Chapelle du béton armé» par Le Corbusier, a besoin de soins. Des travaux qui portent à la fois sur le clocher et les vitraux du mur Sud. Fin du chantier prévu avant Noël 2022.

 

«On est subjugué par la technique des années 1920»

– Quel est l’état d’avancement du chantier ?

– Le chantier a été un peu retardé par des problèmes sur la nature des bétons, mais tout rentrera dans le planning prévu. Il sera terminé avant Noël 2022. On a perdu un petit peu de temps pour mettre au point un coffrage adapté aux cannelures des colonnes. Toutes les colonnes sont un peu différentes, il a fallu trouver un coffrage réglable pour les cannelures. Ensuite, on attache ce coffrage avec des sangles sur la colonne et on coule le béton par la partie haute. Après, on décoffre, on attend deux ou trois jours. Puis on sable l’épiderme pour faire sortir les gravillons afin d’être exactement dans la teinte du parement primitif.

[VOIR] Le projet de restauration de l’église

Différences de teintes de béton sur une colonne du clocher de ND du Raincy. Les parties grises datent de la restauration des années 1990. Au centre, la nouvelle matière ajoutée grâce au coffrage et conforme à la teinte originale. (CDC)

– Quand on regarde les murs et les colonnes, on aperçoit des différences de teintes, il y a des morceaux de béton ajoutés dans les années 1990…

– Au début [lors de la construction en 1923] le béton des frères Perret était plutôt un béton clair. Mais dans les années 1990, les restaurateurs ont fait des raccords avec un ciment beaucoup plus gris. Ces raccords ont bien tenu, c’est pour cela que les Monuments historiques nous ont demandé de ne pas les repiocher [ôter]. Cependant, ces raccords ne sont pas du tout dans la teinte originale.

[LIRE] Reportage lors d’une réunion de chantier

– Une des difficultés pour cette église, c’est l’eau qui s’infiltre dans les colonnes en béton. Quelle solution avez-vous trouvé?

– On a ajouté un revêtement sur les parties horizontales (sommitales) des colonnes. Cela, pour éviter les infiltrations par le haut des colonnes, infiltrations qui peuvent dégrader assez vite le béton. C’est une étanchéité collée, multicouche. Elle n’existait pas avant, elle est donc ajoutée mais c’est fait pour être invisible quand on regarde l’église d’en bas.

Pose d’un revêtement étanche sur le sommet des colonnes du clocher de Notre-Dame du Raincy en septembre 2022. (CDC)

– Avez-vous fait des découvertes en travaillant sur cette église? Vous la connaissez bien…

– Non, pas de découvertes… En revanche, ce qui reste très étonnant – et un peu interrogatif – c’est la façon dont ils ont procédé pour couler ces colonnes avec des cannelures et si rapprochées les unes des autres. Cela reste vraiment étonnant pour l’époque et la façon dont ils construisaient. On est encore un peu subjugué par la technique de réalisation des années 1920.

– Avant de commencer le chantier, avez-vous consulté les plans de Perret sur cette église? 

– Oui, on s’est documenté à l’Institut de l’architecture. On a vu tous les plans de Perret. À partir des relevés effectués sur place, quand on a établi nos propres plans, on a pu vérifier qu’effectivement, entre le plan original et l’exécution, il n’y a pas beaucoup d’écart. Il n’y a que les planchers intérieurs qui ont été ajoutés par la suite.

– Ces planchers sont situés dans le clocher? 

– Au départ, Auguste Perret n’avait pas prévu de planchers de recoupement ou très peu. Mais cela faisait un appel d’air et du froid pour l’organiste [l’orgue est installé au-dessus du porche d’entrée, en bas du clocher]. Rapidement des planchers ont été conçus mais pas sur les plans de Perret. Et ils se sont dégradés très vite. Aujourd’hui, on a été obligé de les refaire, on a posé des planchers métalliques pour remplacer les planchers installés de façon artisanale. Ainsi, on peut accéder au sommet pour entretenir les cloches. Pour le moment, celles-ci sont désactivées, elles seront réalimentées, ainsi que l’horloge. Tout fonctionne à l’électricité.

– Une autre partie du chantier concerne les vitraux côté Sud, pourquoi faut-il les restaurer?

– Ce sont les ateliers Loire, à Chartres, qui prennent en charge ce travail. Les vitraux avaient déjà été déposés et reposés dans de nouvelles structures en béton dans les années 1990, lors des réparations successives. À la même époque, les restaurateurs ont mis des mastics tout autour des vitraux. Depuis, ces mastics se sont dégradés et décollés, parce que les vitraux sont posés quasiment au bord du mur extérieur. L’eau pénètre dans l’église, surtout par les motifs qui sont en pointe ou les cercles. Pour ce chantier, l’idée c’est de changer tous les mastics. Il y en a énormément. Les ateliers Loire ont prévu deux mois de travail à 5 ouvriers.

Traces d’infiltrations autour d’un vitrail du mur Sud de l’église ND du Raincy, septembre 2022 (CDC)

– Que représente cette église pour vous ? N’est-elle pas un peu particulière, émouvante, pour un architecte?

– Effectivement, on l’a étudiée quand on a fait nos études. Et puis, quand j’ai enseigné le dessin, je suis venu ici avec des élèves. C’est émouvant, quand on la dessine, de comprendre la conception d’Auguste Perret, de se mettre pratiquement à sa place ! Quand on la dessine, on la rebâtit en imaginaire. Après, lorsqu’on monte sur l’échafaudage et qu’on voit les choses de près, c’est émouvant. Je la redécouvre à chaque fois et je ne suis jamais lassé. C’est trop beau !

Propos recueillis par Valérie-Anne Maitre

Ce vitrail de la crucifixion sera restauré par les Ateliers Loire. La tête du Christ est… à l’envers! ND du Raincy sept 2022 (CDC)

Rappel du projet

Au Raincy (Diocèse de Saint-Denis) l’église Notre-Dame-de-Consolation a servi de modèle pour de nombreuses églises au cours du XXe siècle. Edifiée en 1923 par les frères Perret, celle que Le Corbusier a baptisée «Sainte-Chapelle du béton armé» fait à la fois figure de chef d’œuvre architectural et d’œuvre d’art totale. Les vitraux dessinés par Marguerite Huré et Maurice Denis baignent la grande nef d’une atmosphère priante et colorée. Pour la première fois, l’art abstrait entre à l’église ! Les fines colonnes de béton soutenant un voile de béton annoncent le mur rideau du Corbusier et toute l’audace architecturale contemporaine.

Mais ce chef d’œuvre nécessite des soins. Le béton souffre, l’eau s’infiltre et fait exploser les fers, provoquant des chutes de matières. Côté Sud, les vitraux laissent aussi passer l’eau qui ruisselle le long des murs. Après une campagne de restauration dans les années 1990, un nouveau chantier s’imposait.

Presqu’un siècle après son édification, l’église bénéficie d’une campagne de restauration de son clocher. Il s’agit de repérer les parties fragilisées et de reposer du béton, conforme à la teinte de ce monument historique. Les Chantiers du Cardinal sont sollicités à hauteur de 100 000 euros pour ce chantier.

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