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Megève : une montée au Golgotha grandeur nature

Plus connue pour être une chic station de ski, Megève possède un riche patrimoine religieux méconnu. Son calvaire bâti au milieu du XIXe, composé de 14 oratoires et de deux chapelles dédiées à la Vierge, est un des très rares exemples de chemins de croix monumentaux existants en France et dans le monde. D’autres éléments plus anciens témoignent de la profonde foi chrétienne des Mégevans.

 

Sur le modèle d’Orta et de Varallo

Il est à découvrir sur les pentes du Mont d’Arbois en Haute-Savoie. À l’intérieur des 14 oratoires et des chapelles dédiée à la Vierge, on découvre des scènes grandeur nature de la passion du Christ absolument saisissantes. « La résurrection réside dans la foi de chacun ». Quand en 1840, en pleine époque des apparitions de la Vierge à Lourdes et de la définition du dogme de l’Immaculée Conception, l’abbé Ambroise Martin (1791 – 1863) entreprend la construction de son chemin de calvaire, il décide que son œuvre s’achèvera sur la mise au tombeau. Curé de Megève depuis 1820, il a la volonté de favoriser largement la charité et la foi chrétienne en faisant venir les sœurs de Saint-Joseph et les frères des Écoles chrétiennes, mais surtout en développant un riche patrimoine religieux.

Une des stations du chemin de croix de Megève. (Arielle Courty)

En 1834, le curé voyage dans le Piémont italien où il découvre le Sacro Monte di Varallo. Cette via dolorosa avait été réalisée par des artistes piémontais revenus d’un pèlerinage à Jérusalem. C’est un des rares exemples de la montée au Golgotha qui existent dans le monde avec celui d’Orta situé non loin du lac Majeur.

Aidé financièrement par quelques « mécènes » mégevans partis faire fortune à Paris, à Vienne ou en Italie, le père Ambroise Martin vend son patrimoine personnel pour sa grande œuvre. Cet élan suscite de nombreuses vocations et de nombreux dons. « La vie dans nos montagnes était très dure, raconte Edouard Apertet, guide du patrimoine et solide Savoyard. « Les habitants puisaient leur force dans leur croyance et donnaient leurs maigres revenus, de leurs forces et de leur temps, pour que celle-ci soit visible ».

Vue du début du chemin de croix de Megève sur le mont d’Arbois. (Arielle Courty)

En 1840, le curé achète sur les pentes du mont « d’Arbuaz » un terrain qui semble lui rappeler le Golgotha de Jérusalem. Pendant deux années, avec son ami prêtre-architecte, l’abbé Claude-Joseph Rouge, il travaille à la conception des plans pour inscrire le calvaire dans une démarche pédagogique mais aussi pour en faire un lieu de recueillement et d’émotion. La construction s’achèvera après la mort du curé en 1863.

Un catéchisme grandeur nature

La chapelle Notre-Dame-des-Vertus marque le début du pèlerinage. Elle est dédiée à la Vierge Marie. « On y découvre son monogramme [AM pour Ave Maria], à moins que cela soit les initiales du père Ambroise Martin », s’amuse Edouard Apertet. Sur la façade, sous la coupole copiée sur celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem, a été placé un buste du curé. Au-dessus, l’ingénieux homme d’Église avait imaginé des oculus favorisant la circulation de l’air dans la charpente.

La chapelle Notre-Dame-des-Vertus. (Arielle Courty)

En entrant dans la chapelle Notre-Dame-des-Vertus, on est tout de suite saisi par la mise en scène. Le père Martin voulait frapper le pèlerin. Un escalier, faisant office de déambulatoire, descend dans la crypte où est placée une représentation en marbre du tombeau de la mère du Christ entourée de statues polychrome des douze apôtres. Ses dévotions faites, le chrétien remontait par l’autre côté vers les nuées. Des peintures al fresco recouvrent la coupole et le mur derrière l’autel. Elles retracent l’Assomption et le couronnement de la Vierge par la Sainte Trinité. Les pèlerins se pressaient. Dès 1850, la chapelle avait reçu du pape Pie IX une faveur toute particulière : des indulgences valables quinze ans. « Le 2 août 1852, on a dénombré plus de 6000 « étrangers » à la paroisse venus en bénéficier ! ».

L’ascension vers le Golgotha

Les 14 stations débutent par un bâtiment de style toscan, le Prétoire, où sont réunies sept statues grandeur nature figurant le jugement de Jésus. Un Ponce Pilate enturbanné nous dévisage sévèrement. Il fait face à Jésus couvert d’un manteau rouge la tête baissée auréolée. Il est entouré de Pierre, Jean, d’un greffier et de deux bourreaux. Pour achever de frapper le visiteur, l’abbé Marin avait fait peindre des fresques saisissantes de réalisme dont la flagellation ou le couronnement d’épines.

Ponce Pilate dans le Prétoire. (Arielle Courty)

La montée se poursuit en pente douce. On atteint la 4e station, la chapelle des douleurs où le Christ rencontre sa mère. « C’était dit-on la préférée du père Martin ». Le clocheton qui surmonte l’édifice a sept côtés qui évoquent les 7 douleurs de la Vierge, peintes à l’intérieur du bâtiment. Une rosace sur la façade du mur pignon est composée des sept couleurs de l’arc-en-ciel.

Après la 7e station, une « porte judiciaire » (construite en 1861) marque la limite de l’enceinte de Jérusalem. La passion commence. La bénédiction de la chapelle de la 8e station où Jésus rencontre les femmes de Jérusalem a eu lieu après la mort du père Martin le 24 septembre 1863. Il repose, selon son souhait, au pied de l’autel du Sacré-Cœur dans l’église Saint-Jean-Baptiste.

La porte judiciaire marque la limite de l’enceinte de Jérusalem. (Arielle Courty)

D’oratoire en chapelle, le chemin mène à la crucifixion, les 11e et 12e stations sont particulièrement émouvantes. Dans la première, Jésus est allongé sur la croix les mains cloutées entouré des trois bourreaux terminant leur labeur. Marie est agenouillée. Dans la seconde, le curé a fait ériger sur un amas de pierres trois croix monumentales en chêne où sont crucifiés le Fils entouré des deux larrons. « L’érection de ces croix a valu aux Mégevans de se faire surnommer par les habitants de Combloux ʺles Pilatesʺ ! », commente Edouard Apertet.

Vue de la 11e station (Crédit Arielle Courty)

L’essentiel des œuvres a été commandé par le père Ambroise Martin à des maçons et artistes savoyards et piémontais. Il voulait que le pèlerinage s’achève par la vision du corps du Christ embaumé et étendu sur la pierre dans la chapelle du saint Sépulcre. Dès le franchissement de la porte, le visiteur découvre l’antichambre par une mandorle évoquant la pointe de la lance qui a percé le côté du Christ. Dedans, un ange désigne d’un geste de la main l’emplacement du tombeau. Mais son successeur, l’abbé Monnard, avait une autre approche. Il a fait restaurer la partie basse et édifier au-dessus un monument de style roman orné de trompe-l’œil en grisaille, la chapelle de la Résurrection, où figurent notamment des apparitions de Jésus.

De nombreux édifices du XVIIe au XXe siècle

Classé à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1988, l’ensemble du calvaire a bénéficié d’importants travaux de restauration de 2001 à 2011. D’autres nombreux exemples emblématiques de cette foi sont encore visibles à Megève. Saint François de Sales, quand il est venu dans le village de Haute-Savoie en 1606, ne s’était pas trompé : si on en croit ces édifices, cette bourgade d’actuellement 3 500 habitants est profondément religieuse. Dominée par son chemin de calvaire, elle compte environ 45 oratoires bâtis du milieu du XIXe à la fin du XXe siècle et de nombreuses croix de mission.

La chapelle Sainte-Anne à Megève. (Arielle Courty)

Au milieu des chalets, bâtis à partir des années 30 par l’architecte Jacques-Henri Le Même pour Edmond de Rothschild, Marcel Dassault mais aussi pour de modestes familles savoyardes, s’élève l’église Saint-Jean-Baptiste et la chapelle Sainte-Anne. « Le Même, acteur de la rénovation de l’église dans les années 50, était un grand ami de Marion Tournon-Branly » (la fille de Paul Tournon, le concepteur de très nombreuses églises bâties par les Chantiers du Cardinal.) souligne Marie Allard elle-même architecte et passionnée du patrimoine mégevan.

« Une église primitive s’élevait déjà ici au XIIe siècle », relève Sophie Blanchin, guide du patrimoine des pays de Savoie. La jeune-femme brune est enthousiaste. « La découverte de cet édifice est passionnante. Reconstruite en 1443 dans un style gothique flamboyant, elle a subi plusieurs incendies. Maintes fois rénovée, elle a été agrandie fin XVIIe et fin XIXe. »

Sur le plafond de l’église des fresques peintes par François Mucengo.

Toujours à l’initiative de l’abbé Martin, le peintre décorateur François Mucengo refait toute la décoration intérieure. Il peint notamment dans les quatre quadrilobes de la nef 64 scènes de la vie de saint Jean-Baptiste et en leur centre des médaillons représentent les docteurs de l’Église : saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire et saint Jérôme. Au plafond des nefs latérales, on découvre la vie de Jésus et celle de Marie. « Certaines scènes comme celle du mariage avec ʺcelui dont le bâton fleurit (saint Joseph)ʺ sont tirées d’un évangile apocryphe. On y voit un prétendant éconduit casser le sien », s’amuse la guide qui précise :  « Pour admirer ces scènes, nous nous sommes équipés de miroir. Cela évite de se tordre le cou et permet de voir une foule de détails ! »

Un patrimoine à protéger

Le manque de neige récurrent a fait prendre conscience à Catherine Jullien-Breches, maire de Megève, de la chance d’avoir hérité d’une telle richesse patrimoniale à protéger. « J’ai eu le bonheur, après la réfection de la toiture de l’église, de voir le coq remonté au sommet du clocher à bulbes ». Plusieurs récentes rénovations ont permis de préserver la tribune, les stèles et bien d’autres choses… Aujourd’hui, c’est la restauration intérieure qui est à l’ordre du jour. Certaines peintures en badigeon du plafond ont en effet été fortement endommagées par des infiltrations.

Église Saint-Jean-Baptiste de Megève. (Arielle Courty)

À droite de l’église, une modeste chapelle placée sous le vocable de sainte Anne, la mère de la Vierge. Bâtie au XVIe siècle, elle a été détruite par un incendie. Un ex-voto remercie Jean-Baptiste Perriné, un habitant parti faire fortune à Vienne, d’avoir financé sa reconstruction en 1728. Elle a la particularité d’avoir servi de salle de judo car désacralisée, puis rendue au culte en 2014. Au-dessus du modeste autel, trône une icône en mandorle représentant un Christ en gloire entouré du tétramorphe. « On sait qu’elle été réalisée par un artiste russe mais comme toutes les icônes, elle n’est pas signée. C’est l’œuvre de Dieu par l’intermédiaire de la main de l’homme », précise Sophie Blanchin rappelant la parole du Christ : « Je suis l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin ».

Arielle de Sainte-Marie

Informations pratiques

Un programme de visites à Megève est disponible sur le site des guides du patrimoine des Pays de Savoie.

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