Ensemble, préservons le patrimoine religieux

La cité du vitrail à Troyes, l’autre ville lumière

Complémentaire du Centre international de Chartres, la Cité du vitrail, abritée dans l’ancien Hôtel-Dieu-le-Comte, propose de découvrir un riche patrimoine vitré dont l’accrochage est régulièrement renouvelé. Dans cet écrin XVIIIe entièrement restauré, l’art des artistes et le savoir-faire des maîtres-verriers se décline sur dix siècles de création.

Une étape préliminaire sur la route du vitrail

Sens (Yonne), cathédrale Saint-Etienne, Ressuscité de la rose du transept sud, XVe siècle, prêt de la DRAC Bourgogne-Franche-Comté © Arch. dép. Aube / Elsa Viollet

Si l’on vous demande « Quelle est la ville à visiter pour ses vitraux ? », il y a de fortes chances que vous répondiez « Chartres ». Vous auriez évidemment raison. Mais, vous auriez également pu répondre « Troyes », la ville où La Cité du vitrail vient d’ouvrir ses portes.
Au cœur du « Bouchon*», s’élèvent également plusieurs joyaux du gothique : la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, la basilique Saint-Urbain ainsi que l’église Sainte-Madeleine située dans un quartier de maisons à pans de bois.

La Cité du vitrail, dédiée au savoir-faire des maîtres verriers de l’Aube, est la première étape d’un périple qui pourra vous entrainer sur la Route du Vitrail dans les villages de Champagne. L’intérêt de ce lieu, situé dans l’ancien Hôtel-Dieu-le-Comte, un remarquable ensemble XVIIIe siècle de 3000 m2 est de faire vivre dix siècles de création du vitrail tout en apportant les clés pour décrypter cet art. « L’Aube a souffert de peu de destructions pendant les deux guerres mondiales. De plus, durant les conflits, de nombreuses verrières ont été démontées et mises à l’abri dans des caisses en bois remplies de paille. Cette précaution nous a permis de conserver un riche patrimoine aubien dont les plus anciens ensembles remontent au XIIe siècle », souligne Anne-Claire Garbe, conservatrice de la Cité du vitrail.

Anne-Claire Garbe, conservatrice de la Cité du vitrail devant le lustre monumental constitué de 24 manchons de verre. Photo Arielle de Sainte Marie

Un espace vivant

Le Département a décidé de créer un espace vivant que l’on ne peut considérer comme un musée dans la mesure où la majorité des œuvres exposées à la Cité du vitrail le sont de façon éphémère, à l’occasion de prêt ou hébergées le temps d’une restauration d’un édifice. « Notre collection, ce sont les vitraux conservés in situ dans trois cent cinquante édifices répartis sur le territoire aubois. »
Quelques pièces, comme La transfiguration du Christ, sont présentés de façon permanente. Ce vitrail troyen, daté de 1170-1180 et provenant de l’ancienne cathédrale romane, est un trésor. Perdu depuis le début du XIXe siècle, il a miraculeusement réapparu dans une vente aux enchères en 2018 et a été acquis par le conseil départemental de l’Aube.

Transfiguration du Christ, atelier troyen, prov. cathédrale romane de Troyes, vers 1170-80, coll. Cité du Vitrail© Christophe Deschanel

La visite commence par l’ascension d’un vaste escalier éclairé par un lustre monumental constitué de 24 manchons de verre coloré, teintés dans la masse et soufflés à la bouche par les verriers de Saint-Just. Il a été conçu par le maître-verrier Alain Vinum, conseil d’Eric Pallot, architecte en chef des Monuments historiques, pour l’éclairage et la lumière.
« Cette œuvre contemporaine a ponctué la dernière étape du chantier de restauration de l’Hôtel-Dieu. Elle éclaire la première étape d’une découverte d’un lieu qui souhaite valoriser aussi bien les richesses du passé que les créations actuelles »
, commente la conservatrice. « Ce luminaire met en œuvre la pratique même qui est à l’origine de l’art du vitrail, la fabrication du verre coloré. Dans les ateliers, les souffleurs fabriquent ces sortes de grandes bouteilles hautes de plus d’un mètre, qui sont ensuite incisées, aplaties et transformées en feuilles de verre. »

Didactique et pédagogique

Sous les combles du 3e étage, deux salles à la visée pédagogique détaillent les différentes techniques de création et d’exécution d’un vitrail ainsi que l’histoire de l’art verrier. Les archives départementales ont la chance de conserver l’appel d’offre très documenté des vitraux de la cathédrale de Sens par les chanoines au XVIe siècle. Le marché passé entre les commanditaires et les maîtres-verriers de l’époque reprend toutes les étapes encore d’actualité à ce jour, de l’achat du plomb et du verre à la pose dans les feuillures d’un édifice. L’exposition d’autres vitraux de différentes époques complète la présentation de cette ressource documentaire particulièrement explicite.

La galerie des vitraux. Photo Arielle de Sainte Marie

La reproduction en réduction d’un étonnant visage du Christ choisi pour la chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale de Strasbourg est un exemple des nouvelles techniques utilisées par les artistes. Ce vitrail est inspiré d’une peinture d’Hans Memling et constitué de centaines de visages anonymes photographiés par Véronique Ellena. Réalisé par le maître-verrier Pierre-Alain Parot, il fait appel à une technique innovante d’impression numérique d’émaux sur verre. Plus loin, d’autres approches sont abordées témoignant de la vigueur de cet art millénaire de peindre avec la lumière.

Dans la deuxième salle, un panorama historique illustré par de nombreuses pièces, rappelle que le Moyen-Âge gothique, la Renaissance et le XIXe siècle sont trois périodes clés. Le XXe et le XXIe siècle ont quant à eux donné lieu à un renouveau et une ouverture à la modernité. « On a souvent tendance, souligne Anne-Claire Garbe, à limiter le vitrail à l’assemblage de morceaux de verre coloré à l’aide de plomb. Pourtant, il est défini comme une cloison lumineuse qui tire son effet de la translucidité de son matériau quel que soit sa mise en œuvre ».

Fragments de verre coloré du 4e siècle découverts lors de fouilles archéologiques sous l’abbatiale Saint-Martin de Tours. Photo Arielle de Sainte Marie

Des fouilles archéologiques sous l’abbatiale Saint-Martin de Tours, ont permis de mettre à jour des morceaux de vitraux du IVe siècle. « Dès cette époque, des fragments de verre coloré aux formes andromorphes sont enchâssées dans du plomb ». Le véritable épanouissement de cet art religieux se situe au XIIe siècle avec la double pensée théologique, d’une part de l’abbé Suger prônant que rien n’était assez beau pour magnifier le divin et, d’autre part, celle cistercienne de Bernard de Clairvaux qui précisait que rien ne devait détourner les moines de la prière. L’un comme l’autre insistait sur le rôle de la lumière, signe de la présence de Dieu. Le premier, commanditaire de la restauration du chœur de la basilique Saint-Denis, avait pour objectif, grâce à la lumière colorée, de transformer son édifice en Jérusalem céleste décrite dans l’apocalypse empli de pierres précieuses « Son éclat ressemblait à celui d’une pierre très précieuse, d’une pierre de jaspe transparente comme du cristal. » Le second choisit du verre brut constitué de motifs floraux ou géométriques. Cette fresque historique n’oublie pas le vitrail civil, particulièrement en vogue au XVIe et XIXe siècle.

Une galerie en mouvement

Le plus bel espace de la Cité est, sans doute, la galerie des vitraux. Cette ancienne salle des malades tout en sobriété, bénéficie d’un exceptionnelle lumière naturelle. Elle regroupe une diversité d’œuvres de toutes époques présentées sur des structures modulables et autoportantes. S’affranchissant des contraintes de l’architecture, les vitraux de toute époque sont accrochés comme des tableaux à hauteur d’homme entre lesquels le visiteur est appelé à déambuler librement.

Saint Amelie, par Kehinde Wiley, 2014, prêt Paris, galerie Templon
Mention obligatoire : The Walters Art Museum, Baltimore, Maryland, 2022
Crédit photo : © Arch. dép. Aube / Elsa Viollet

Le parcours s’achève par la chapelle de l’hôtel-Dieu qui a conservé son décor en trompe l’œil XIXe siècle. Ses six baies vitrées d’un verre blanc tiennent lieu de cimaises.
« Les fenêtres vitrées qui sont dans l’église et par lesquelles […] se transmet la clarté du soleil signifient les Saintes Ecritures, qui repoussent de nous le mal tout en l’illuminant », affirmait Pierre de Roissy, directeur de l’Ecole de théologie de Chartres au XIIIe siècle. Dans ce vaste espace, un système de serrureries intérieures permet d’exposer de façon temporaire des œuvres monumentales. Deux vitraux en lancette représentent sainte Geneviève et saint Marcel, créés pour la cathédrale Notre-Dame de Paris par Jacques Le Chevallier et finalement refusés. Face à eux, a été placée une verrière du XVIe siècle provenant de l’église de Rumilly-lès-Vaudes en cours de restauration. Dans l’oculus, un vitrail contemporain de Fabienne Verdier exécuté en collaboration avec la Manufacture Vincent-Petit de Troyes illumine de son tourbillon jaune argent l’ancien lieu de prière.

Revenir pour découvrir d’autres vitraux

« Notre pari est que les visiteurs aient plaisir à revenir pour découvrir de nouveaux accrochages ainsi que les expositions temporaires qui démarreront en mai, conclut Fanny Portier, responsable de la communication. Une carte d’abonnement annuelle est actuellement proposée à un tarif très modique, 10 €. » Les publications sont dans la droite ligne de cette volonté d’évolution permanente. Aucun catalogue n’a été édité. Un premier hors-série Connaissance des Arts est sorti pour l’ouverture en décembre dernier, un deuxième avec les éditions Faton doit bientôt sortir.

 

*Nom donné au centre historique de Troyes, en référence à sa forme.

 

Arielle de Sainte-Marie

Galerie

Voir l’album

Seul votre don nous permet d’agir

Faire un don