Une église marquée par la guerre

Curé de la paroisse Notre-Dame-du-Bon-Conseil à Paris (18^e) depuis sept ans, le père Franck Zeuschner n’imaginait pas, en faisant appel à la commission d’art sacré du diocèse de Paris, que son église méconnue remporterait le prix du magazine Pèlerin pour la création et la rénovation d’églises, avec le soutien des Chantiers du Cardinal, pour le sauvetage des verrières.

Le père Franck Zeuschner, curé de la paroisse Notre-Dame-du-Bon-Conseil, Caroline Morizot, la responsable de la conservation et de l’inventaire à la commission d’art sacré du diocèse de Paris, Éric Ehlers, délégué général de la fondation Jean-Léon Le Prevost, propriétaire de l’église Notre-Dame-du-Bon-Conseil (CDC)

Pour ce membre de l’Institut des religieux de Saint-Vincent de Paul, tout commence dans les années 1980 lorsque, enfant, adolescent puis adulte, il bénéficiait des joies du patronage paroissial (toujours en activité), en devenant un servant d’autel, un animateur, avant d’en devenir le curé.

C’est dire s’il connaît par cœur cette église dédiée à Notre Dame du Bon-Conseil, érigée en paroisse en 1948, confiée aux frères de Saint Vincent de Paul dès 1898 pour venir en aide aux familles pauvres et laborieuses du quartier de Clignancourt. En 1944, cette partie septentrionale de Paris, coincée entre le périphérique et les voies ferrées de la gare du Nord, avait été bombardée par erreur par les avions alliés, tuant et blessant de nombreux habitants, détruisant beaucoup d’immeubles à l’exception de l’église. C’est en souvenir de ce tragique épisode d’avril 1944 que les paroissiens ont à nouveau fait appel à l’atelier Mauméjean pour réaliser l’ultime vitrail d’une série commencée dans les années 1930. En voici une description sommaire : des flammes s’élèvent, juste à côté de l’église Notre-Dame-du-Bon-Conseil, tandis que des soldats et des civils se lamentent, observant avec crainte des bombardiers dans le ciel… Plus haut, la Vierge leur ouvre les bras. En bas, ces simples mots : In Memoriam.

Vitrail du Bon Conseil à Paris. À gauche la partie haute montre la Vierge accueillant les soldats. La partie basse (à droite) montre le bombardement de l’église ND du Bon Conseil en 1944. (CM)

Treize vitraux à sauver

« Quelques paroissiens, encore enfants à l’époque, m’ont raconté en avoir été très marqués », raconte Caroline Morizot à l’issue d’une conférence donnée dans la crypte de cette église qui avait servi de refuge durant le déluge de fer et de feu. Docteur en histoire de l’art, Caroline Morizot est responsable de la conservation et de l’inventaire à la commission d’art sacré du diocèse de Paris. C’est elle qui, en tant que conseil, participe au sauvetage des treize vitraux qui magnifient cette église. Et c’est donc à elle que Jérôme Tolot, le directeur général des Chantiers du Cardinal, a remis ce prix le 18 octobre lors d’une soirée prestigieuse à la cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. Une très belle pierre à l’édifice de restauration dont le budget est estimé à 300 000 euros.

[VOIR] La revue 239 consacrée au patrimoine religieux

Reportage dans l’église Notre-Dame

Mettre l'art religieux à la portée de tous

Il ne faudrait pas oublier les autres vitraux « historiés ». L’un représente saint Vincent de Paul, bien sûr. Un autre la Vierge lors du miracle de Cana, référence à son « bon conseil » donné à Jésus à ces fameuses noces et, un troisième, une crucifixion au ciel violet, signée Joseph Mauméjan, l’un des quatre fils du fondateur du célèbre atelier d’art basque. Comme il reste encore quelques vitraux « vides », remplis de simples losanges, le père Franck Zeuschner émet un rêve un peu fou : pourquoi, dans un avenir plus lointain, ne pas créer un vitrail dédié à mère Teresa, canonisée en 2016, qui était venue à Notre-Dame-du-Bon-Conseil lors d’un passage à Paris…

Jérôme Tolot (à droite) remet le prix pèlerin à Caroline Morizot lors de la soirée Pèlerin à la cité de l’architecture et du patrimoine. (CDC)

Jamais restaurées par des professionnels, ces verrières ont été réparées avec des verres « bouche-trous » qui les enlaidissent et leurs plombs sont devenus poreux avec les années… Le prix Pèlerin complètera le budget nécessaire à leur remise en état et donnera une visibilité à cette humble église, à l’image de la reconnaissance obtenue par Caroline Morizot du site labellisé « patrimoine d’intérêt régional » par la région Île-de-France.

La conservatrice-restauratrice de vitraux choisie, Emma Groult, est d’ailleurs une ancienne lauréate dans la catégorie « jeune artisan d’art » ! La boucle est bouclée… Mais laissons à Stéphane Bern, le parrain de cette 32^e édition du grand prix Pèlerin du patrimoine, le mot de la fin : « Ces vitraux dans ce quartier populaire prouvent que l’art religieux est la beauté à portée de tous. Si les jeunes du coin viennent visiter le chantier de restauration et qu’on leur explique le sens de l’image et la technique du verre, nul doute qu’ils seront intéressés. Et certains s’engageront peut-être pour le patrimoine… »

Jean de Préval