«On est subjugué par la technique des années 1920»
– Quel est l’état d’avancement du chantier ?
– Le chantier a été un peu retardé par des problèmes sur la nature des bétons, mais tout rentrera dans le planning prévu. Il sera terminé avant Noël 2022. On a perdu un petit peu de temps pour mettre au point un coffrage adapté aux cannelures des colonnes. Toutes les colonnes sont un peu différentes, il a fallu trouver un coffrage réglable pour les cannelures. Ensuite, on attache ce coffrage avec des sangles sur la colonne et on coule le béton par la partie haute. Après, on décoffre, on attend deux ou trois jours. Puis on sable l’épiderme pour faire sortir les gravillons afin d’être exactement dans la teinte du parement primitif.
[VOIR] Le projet de restauration de l’église
– Quand on regarde les murs et les colonnes, on aperçoit des différences de teintes, il y a des morceaux de béton ajoutés dans les années 1990…
– Au début [lors de la construction en 1923] le béton des frères Perret était plutôt un béton clair. Mais dans les années 1990, les restaurateurs ont fait des raccords avec un ciment beaucoup plus gris. Ces raccords ont bien tenu, c’est pour cela que les Monuments historiques nous ont demandé de ne pas les repiocher [ôter]. Cependant, ces raccords ne sont pas du tout dans la teinte originale.
[LIRE] Reportage lors d’une réunion de chantier
– Une des difficultés pour cette église, c’est l’eau qui s’infiltre dans les colonnes en béton. Quelle solution avez-vous trouvé?
– On a ajouté un revêtement sur les parties horizontales (sommitales) des colonnes. Cela, pour éviter les infiltrations par le haut des colonnes, infiltrations qui peuvent dégrader assez vite le béton. C’est une étanchéité collée, multicouche. Elle n’existait pas avant, elle est donc ajoutée mais c’est fait pour être invisible quand on regarde l’église d’en bas.
– Avez-vous fait des découvertes en travaillant sur cette église? Vous la connaissez bien…
– Non, pas de découvertes… En revanche, ce qui reste très étonnant – et un peu interrogatif – c’est la façon dont ils ont procédé pour couler ces colonnes avec des cannelures et si rapprochées les unes des autres. Cela reste vraiment étonnant pour l’époque et la façon dont ils construisaient. On est encore un peu subjugué par la technique de réalisation des années 1920.
– Avant de commencer le chantier, avez-vous consulté les plans de Perret sur cette église?
– Oui, on s’est documenté à l’Institut de l’architecture. On a vu tous les plans de Perret. À partir des relevés effectués sur place, quand on a établi nos propres plans, on a pu vérifier qu’effectivement, entre le plan original et l’exécution, il n’y a pas beaucoup d’écart. Il n’y a que les planchers intérieurs qui ont été ajoutés par la suite.
– Ces planchers sont situés dans le clocher?
– Au départ, Auguste Perret n’avait pas prévu de planchers de recoupement ou très peu. Mais cela faisait un appel d’air et du froid pour l’organiste [l’orgue est installé au-dessus du porche d’entrée, en bas du clocher]. Rapidement des planchers ont été conçus mais pas sur les plans de Perret. Et ils se sont dégradés très vite. Aujourd’hui, on a été obligé de les refaire, on a posé des planchers métalliques pour remplacer les planchers installés de façon artisanale. Ainsi, on peut accéder au sommet pour entretenir les cloches. Pour le moment, celles-ci sont désactivées, elles seront réalimentées, ainsi que l’horloge. Tout fonctionne à l’électricité.
– Une autre partie du chantier concerne les vitraux côté Sud, pourquoi faut-il les restaurer?
– Ce sont les ateliers Loire, à Chartres, qui prennent en charge ce travail. Les vitraux avaient déjà été déposés et reposés dans de nouvelles structures en béton dans les années 1990, lors des réparations successives. À la même époque, les restaurateurs ont mis des mastics tout autour des vitraux. Depuis, ces mastics se sont dégradés et décollés, parce que les vitraux sont posés quasiment au bord du mur extérieur. L’eau pénètre dans l’église, surtout par les motifs qui sont en pointe ou les cercles. Pour ce chantier, l’idée c’est de changer tous les mastics. Il y en a énormément. Les ateliers Loire ont prévu deux mois de travail à 5 ouvriers.
– Que représente cette église pour vous ? N’est-elle pas un peu particulière, émouvante, pour un architecte?
– Effectivement, on l’a étudiée quand on a fait nos études. Et puis, quand j’ai enseigné le dessin, je suis venu ici avec des élèves. C’est émouvant, quand on la dessine, de comprendre la conception d’Auguste Perret, de se mettre pratiquement à sa place ! Quand on la dessine, on la rebâtit en imaginaire. Après, lorsqu’on monte sur l’échafaudage et qu’on voit les choses de près, c’est émouvant. Je la redécouvre à chaque fois et je ne suis jamais lassé. C’est trop beau !